L'auteur
Juriste de formation, il abandonne rapidement son travail de notaire pour se consacrer à la littérature. Il devra attendre dix ans avant de connaître un certain succès avec son roman Les Chouans. Il forme progressivement le projet d’être l’historien des mœurs, de fixer par écrit la société française de son temps, depuis la Révolution. Ce projet sera concrétisé lorsqu’il décidera de présenter dans ses romans des personnages récurrents qu’il a déjà créés et qui apparaissent déjà dans ses anciennes œuvres, afin de tisser un lien entre tous ses ouvrages. Cela marquera le début de la Comédie Humaine, immense œuvre qui contient plus de 90 romans.
L'œuvre
La Peau de chagrin est un récit fantastique et philosophique, qui retranscrit les préoccupations et inquiétudes contemporaines. En effet, à cette période, la bourgeoisie est en plein essor et les bourgeois ont pour but de s’enrichir : l’argent est plus important que les valeurs, et la noblesse est désacralisée au profit des bourgeois. En ce qui concerne le contexte littéraire, le romantisme est aussi en plein essor et accorde une grande importance aux sentiments personnels, aux angoisses, aux rêves, à la mélancolie et aux personnages marginaux, mis à l’écart de la société.
La Peau de chagrin fait partie de la seconde section de la Comédie Humaine, intitulée « études philosophiques ». C’est un roman :
- réaliste : même si le réalisme en tant que mouvement littéraire n’existait pas encore à cette époque, le cadre spatio-temporel est très réaliste : les descriptions sont nombreuses et précises, Balzac parvient à donner au lecteur une idée claire de ce qu’était le Paris des années 1830. Il met en relief la bourgeoisie avide de richesses et superficielle, qui la conduit à laisser de côté les vraies valeurs, les vraies richesses, qui ne s’achètent pas : amour, amitié, bonheur…
- fantastique : la peau de chagrin est un objet fantastique qui rétrécit au fur et à mesure que son possesseur fait des vœux et qu’elle les réalise. Un pacte magique est donc tissé entre l’objet et l’homme. Ils sont indissociables, et cela se manifeste aussi par des évènements fantastiques, comme la réapparition miraculeuse de la peau lorsque Raphaël tente de la jeter dans un puits, entre autres. Tzvetan Todorov définit le fantastique ainsi : « Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un évènement en apparence surnaturel. » Dans ce roman, le fantastique se manifeste par le décalage entre cadre on ne peut plus réaliste, et irruption de cette peau de chagrin magique qui remet en questions les lois de la nature.
- philosophique : ce roman a pour but de montrer que l’homme doit utiliser son énergie de la bonne manière, et non pas pour courir après des richesses matérielles. La peau de chagrin qui rétrécit symbolise la vie humaine qui se raccourcit quand on fait des actions qui ne sont pas au service de véritables valeurs, mais qui ont pour but de satisfaire des désirs futiles, matériels.
Résumé
Partie 1 : « Le talisman ». Raphaël, déjà criblé de dettes, a perdu tout son argent au jeu. Il s’apprête à se suicider, mais finit par entrer dans la boutique d’un vieil antiquaire qui lui présente une peau de chagrin, censée réaliser tous les désirs de son possesseur, mais ce faisant, elle noue un pacte avec lui et rétrécit à chaque vœu exaucé, diminuant ainsi l’énergie vitale qui anime son détenteur. Raphaël émet alors le vœu d’assister à un grand banquet luxueux. Ce vœu se réalise et il y rencontre Emile. Il lui raconte alors pourquoi il comptait se donner la mort.
Citation à retenir : enseignement de la part du vieil antiquaire symbolisant la sagesse, « Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit, mais Savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme. »
Partie 2 : « La femme sans cœur ». Raphaël raconte son enfance, qui a été très stricte. Mais un jour, il s’est adonné aux jeux d’argent et y a pris goût. Son père meurt, et le laisse pauvre. Il va alors écrire la « théorie de la volonté », livre philosophique qui, il l’espère, le rendra connu. Il vit dans un hôtel, et donne des cours à Pauline, fille de la logeuse. Il vit de très peu. Mais un jour il rencontre Rastignac, qui le plonge dans les plaisirs éphémères : jeux d’argent, prostitution… il rencontrera aussi Foedora, dont il tombera amoureux. Il échouera à gagner son amour. C’est suite à cela qu’il a rejoué aux jeux d’argent et qu’il a tout perdu, puis qu’il s’est rendu chez l’antiquaire avec la volonté de se donner la mort dans les heures à venir. Suite à ce récit, Raphaël conte à Emile les pouvoirs de la peau, mais ce dernier n’y croit pas : Raphaël va alors émettre le désir de recevoir 2000 livres de rente, et le lendemain, un notaire lui annonce qu’il a hérité d’une colossale fortune.
Partie 3 : « L’agonie ». Raphaël prend peur des pouvoirs de la peau et vit alors en marge de la société pour protéger sa vie et s’empêcher d’avoir des désirs, pour que celle-ci ne rétrécisse plus. Or, il émettra de manière accidentelle un vœu, et suite à cela, il retrouve Pauline au théâtre. Elle est riche, belle, il désire alors qu’elle tombe amoureuse de lui. Mais en voyant la peau diminuer, il éprouve une immense angoisse et la jette dans un puits, pour s’en débarrasser. Mystérieusement, un jardinier parvient à lui rapporter : il ne peut s’en détacher. Les scientifiques consultés par Raphaël sont incapables d’expliquer ce phénomène : le pacte est plus fort que toute justification rationnelle. Il devient alors de plus en plus malade, au fur et à mesure que la peau est sur le point de disparaître. Il finit par mourir dans les bras de Pauline, tué par l’immense désir sexuel qu’il ressent pour elle.
Thématiques abordées
L’amour : Raphaël est un personnage qui a une vision particulière de l’amour. En effet, il s’intéresse aux femmes riches : d’abord Foedora, qui ne l’aime pas en retour, puisqu’il appartient à une classe sociale inférieure. Ensuite, Pauline : mais il ne l’aimera que lorsqu’elle sera riche. Or, elle, elle éprouve un amour sincère pour lui dès leur rencontre. Seule elle est amoureuse et désintéressée, et c’est pour cela que pendant l’épilogue, elle devient une figure associée à l’ange, elle est un idéal. Globalement, l’amour est destructeur et entraîne la destruction : la perte d’énergie vitale, d’argent…
Le désir, le vouloir, le pouvoir : associés à la destruction, à l’énergie destructrice. Plus on désire, plus nos désirs sont matériels et pas spirituels, plus vite on meurt. C’est notamment souligné par Aquilina et Euphrasie, deux prostituées, qui mettent en valeur le fait qu’elles vivent plus d’émotions fortes en quelques jours qu’une bonne bourgeoise en quelques années. En apparence, il est impossible de s’en sortir, comme le montre la peau de chagrin : une fois lié à cet objet, Raphaël ne parvient pas à retourner en arrière, il ne parviendra à s’en débarrasser ni à arrêter de désirer.
Le jeu : l’oeuvre commence par des jeux d’argent. Raphaël va mettre en valeur sa fascination pour le jeu, puisqu’il joue depuis longtemps, mais aussi son rapport ambivalent avec ce dernier puisque d’un côté, le jeu peut le faire triompher ; mais de l’autre, il peut aussi le conduire à sa perte comme cela se remarque lorsqu’il veut se suicider après avoir perdu tout son argent lors d’une partie. Le jeu est avant tout un jeu d’argent, mais pas seulement : cela caractérise l’ensemble du roman, notamment lorsque Raphaël se met au défi de vivre trois ans avec une petite somme d’argent, ou encore de conquérir Foedora…
L’argent : Raphaël a un rapport assez ambivalent à l’argent. En effet, il est extrêmement pauvre lorsque son père meurt, mais grâce à la peau de chagrin, il devient très riche : il passe d’une extrême à l’autre. Mais l’argent ne le rend pas au heureux, au contraire, il le dépense rapidement (notamment pour séduire Foedora). Ce n’est qu’à la fin de l’œuvre qu’il réalise, alors qu’il est sur le point de mourir, que les vraies valeurs, les vraies richesses, ne s’achètent pas. Le bonheur n’est pas matériel.
Le parcours "les romans de l'énergie : création et destruction"
« L’énergie » est une force en action, une puissance, quelque chose en mouvement, qui peut diminuer mais aussi s’accroître. Pour Balzac, tout au long de sa vie, l’homme possède un capital d’énergie non rechargeable, et quand celle-ci est dépensée, il meurt. Il existe deux énergies : l’énergie créatrice, engendrée par le savoir, l’imagination, les activités intellectuelles ; et l’énergie destructrice, engendrée par le désir.
La « création » est une invention, voire réinvention, elle a un sous-entendu mélioratif, positif. On fabrique quelque chose à partir de quelque chose d’autre.
La « destruction » est associée à la violence.
« Création » et « destruction » forment donc une antithèse. Ce parcours nous invite donc à nous demander comment conjuguer ces deux forces opposées. Il s’agit d’étudier comment elles peuvent coexister : la création peut-elle mener à la destruction, et inversement, la destruction ne peut-elle pas rendre possible la création ?
C’est le vieil antiquaire, qui donne la peau de chagrin à Raphaël, qui révèle le secret de l’énergie humaine, telle que Balzac la conçoit :
« Je vais vous révéler en peu de mots un grand mystère de la vie humaine. L’homme s’épuise par deux actes instinctivement accomplis qui tarissent les sources de son existence. Deux verbes expriment toutes les formes que prennent ces deux causes de mort : Vouloir et Pouvoir. Entre ces deux termes de l’action humaine il est une autre formule dont s’emparent les sages, et je lui dois le bonheur et ma longévité. Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit, mais Savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme. »