Alfred de Musset – On ne badine pas avec l’amour

L'auteur

Alfred de Musset est un auteur et dramaturge romantique : très attentif aux sentiments, fortement marqué par la nostalgie et la désillusion, sa relation avec George Sand influence largement ses écrits. En effet, elle le quitte pour un autre homme, mais reste en contact avec lui. Le souvenir de leur amour ainsi que leur correspondance influence On ne badine pas avec l’amour mais aussi d’autres oeuvres. 

L'oeuvre

On ne badine pas avec l’amour est une pièce de théâtre publiée en 1834. C’est une pièce de théâtre oscillant entre deux genres : celui du proverbe, et celui du drame romantique. Le genre du proverbe, très fréquent à l’époque de Musset, consiste en une pièce de théâtre sentimentale et légère, dont le titre est un proverbe que la pièce illustre. Mais la pièce appartient également au drame romantique, de par son dernier acte bien plus sombre puisqu’il traite de la mort. En effet, le drame romantique est une forme littéraire qui inclut de nombreux registres, qui est ancrée dans l’histoire contemporaine, et qui se focalise sur les sentiments des personnages.

Musset écrit cette pièce juste après sa rupture avec George Sand, ce qui va influencer sa plume : en effet, il inclut des extraits de sa correspondance avec celle-ci dans son oeuvre. Par exemple, acte II scène 5, « Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels […] » est une réplique de Perdican mais inspirée des lettres de George Sand dont il reprend les mots !

Musset à travers cette oeuvre adresse un avertissement au lecteur : il ne faut pas jouer avec l’amour, ce sentiment ne doit pas être pris à la légère, sinon cela finit mal et cela blesse. Evidemment, c’est aussi sa souffrance qui le guide puisqu’il est en plein deuil de sa relation amoureuse avec George Sand. Mais cet avertissement est sérieux et c’est ce que souligne la mort de Rosette, qui aurait pu être évitable !

Résumé

Acte I : le Baron compte marier son fils Perdican, jeune médecin, avec sa nièce Camille, à peine sortie du couvent. Les deux jeunes gens ne se sont pas vus depuis de nombreuses années mais s’aiment depuis leur plus tendre enfance. Le comportement de Perdican s’oppose diamétralement à celui de Camille lors de leurs retrouvailles : Perdican est très démonstratif et affectueux, et Camille est froide et impassible. Cela attriste le Baron et Perdican, qui se voit rejeté. Perdican vexé rencontre Rosette, la soeur de lait de Camille, et la séduit.

Acte II : Perdican insiste et tente de la convaincre d’entretenir avec elle des liens amicaux même si elle refuse le mariage, en invoquant les dernières volontés de la mère de Camille ainsi que leurs souvenirs d’enfance en tant qu’arguments d’autorité. Camille demande à Dame Pluche, sa servante, de porter un mot à Perdican. Celui-ci, très attristé, cherche à masquer son chagrin tout en séduisant Rosette. Maître Blazius, abbé paradoxalement alcoolique, surprend Camille forçant Dame Pluche à donner le mot à Perdican : il s’en va donc conter cette scène au Baron. En réalité, Camille donne rendez-vous à Perdican grâce à ce mot, afin de lui expliquer son refus : elle lui annonce qu’elle compte prendre le voile, c’est-à-dire s’engager en religion ; et lui explique avoir peur de l’inconstance de l’amour conjugal, et préférer l’amour divin : « Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. Elle montre son crucifix. » (scène 5) Cela aboutit à un conflit avec Perdican, qui prend parti contre la religion et les religieuses qui font croire aux jeunes femmes que l’amour est vain, exclusivement source de souffrance et de tromperie, et qu’il vaut mieux ne pas aimer par orgueil : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Acte III : Maître Blazius se bat avec Dame Pluche pour récupérer la lettre mais c’est Perdican qui l’intercepte et s’interpose entre les deux personnages. Dans la lettre destinée à son amie Louise, Camille écrit que comme prévu, Perdican était amoureux et que son refus l’a désespéré. Par fierté et orgueil, Perdican veut se venger : il donne rendez-vous à Camille pour discuter, mais en réalité, c’est avec Rosette qu’il se rend sur place, et Camille, cachée, assiste à la déclaration d’amour que Perdican lui fait. Camille souhaite alors se venger en prouvant à Rosette que Perdican ne l’aime pas : elle la cache derrière un rideau et le fait venir. Rosette s’évanouit en entendant la déclaration d’amour de Perdican, et Perdican, après avoir découvert le piège, promet qu’il épousera Rosette. Camille se sent mal en le voyant aussi résolu, et les deux finissent par céder et se confesser leur amour mutuel. Mais Rosette les entend et meurt sous le choc. Camille fait alors ses adieux à Perdican.

Thématiques abordées

L’amour : au coeur de l’intrigue. Musset explore ce sentiment et l’influence de celui-ci sur les comportements et les choix des personnages. L’amour, ici, apparaît de différentes manières : 

    • l’amour d’enfance entre Camille et Perdican, l’amour sincère mais contrebalancé par l’orgueil.
    • l’amour de Dieu pour Camille, qui privilégie l’amour divin à l’amour humain : « Je veux aimer, mais je ne veux pas souffrir ; je veux aimer d’un amour éternel, et faire des serments qui ne se violent pas. Voilà mon amant. Elle montre son crucifix. » (II-5).
    •  l’amour menteur et manipulateur au service de mauvaises intentions : Perdican qui ment à Rosette sur ses sentiments pour rendre Camille jalouse.
    • l’amour sincère : Rosette, jeune, innocente et naïve, pour Perdican. Cet amour sans méfiance ni réserve la conduira à la mort lorsqu’elle découvrira qu’elle a été manipulée.
    • l’amour libertin : Perdican vis-à-vis des autres femmes qu’il courtise. Dans la pièce, c’est Rosette, mais avant le début de la pièce il a eu d’autres maîtresses.

L’orgueil : il atteint tous les personnages ou presque, et a des conséquences dramatiques. Voici la manière dont se manifeste l’orgueil chez quelques personnages.

    • Même si Camille refuse le mariage avec Perdican, elle est vexée qu’il soit avec Rosette, par orgueil. Camille refuse aussi le mariage par orgueil : parce que les nonnes l’ont avertie du malheur que causaient les hommes infidèles, elle préfère ne pas prendre le risque d’être humiliée par une tromperie, par orgueil, ce que repère Perdican : « Tu es une orgueilleuse ; prends garde à toi. » (II-5). 
    • Perdican, lui, est vexé que Camille lui préfère la religion, et qu’elle ait écrit une lettre à Louise dans laquelle il apparaît comme un amoureux désespéré. D’où sa vengeance impliquant de séduire Rosette devant Camille. Par orgueil, il souhaitera véritablement épouser Rosette, parce que Camille l’a provoqué : « tu épouseras cette fille, ou tu n’es qu’un lâche ! » (III-6).
    • Le Baron, père de Perdican, refuse catégoriquement que son fils épouse Rosette, parce qu’elle est de classe sociale inférieure : ce serait un déshonneur pour la famille que son fils, docteur, épouse une paysanne.

Ce n’est que trop tard (III-8) que Camille et Perdican réalisent que l’orgueil leur aura coûté leur bonheur : « Perdican. – Orgueil, le plus fatal des conseillers humains, qu’es-tu venu faire entre cette fille et moi ? La voilà pâle et effrayée, qui presse sur les dalles insensibles son coeur et son visage. Elle aurait pu m’aimer et nous étions nés l’un pour l’autre ; qu’es-tu venu faire sur nos lèvres, orgueil, lorsque nos mains allaient se joindre ?« 

La religion : très critiquée, elle est le refuge de Camille qui ne veut pas s’engager par peur de la tromperie et du malheur. Les personnages qui l’incarnent sont tout sauf des exemples : Maître Bridaine, abbé, ne respecte pas les préceptes religieux puisqu’il est présenté comme un alcoolique. Les nonnes sont aussi mal perçues : elles corrompent les jeunes filles et les incitent à vivre recluses, à se condamner au malheur par peur de souffrir. 

La souffrance : elle provient de tous les personnages. De manière évidente, elle est ressentie par Rosette qui est tant prise par ses malheurs qu’elle en meurt, en découvrant que Perdican se servait d’elle alors qu’en réalité il est amoureux de Camille. Mais la souffrance est aussi celle de Camille et Perdican, qui se condamnent à souffrir parce qu’ils rendent leur amour impossible : Camille refuse de se marier avec lui par peur de souffrir, mais paradoxalement, elle souffre encore plus. Pour Perdican, au contraire, mieux vaut accepter d’aimer et de souffrir, plutôt que de refuser d’aimer par peur de souffrir : « On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. » (II-5)

Parcours "les jeux du coeur et de la parole"

Le terme « jeux » insiste sur les faux semblants, la manipulation, les mensonges. Les personnages jouent à ne rien ressentir, masquent leur souffrance. L’amour devient un jeu dans lequel chacun prétend être détaché, la parole ne retranscrit pas les sentiments des personnages. Camille prétend être insensible, elle est froide et inexpressive au début vis-à-vis de Perdican. Quant à Perdican, il est expressif mais rapidement déçu par la froideur de Camille. Il va alors prétendre ressentir de l’amour pour Rosette, et lui faire de longues déclarations d’amour lyriques et expressives, ce qui va toucher la jeune femme. Mais comme le rappelle le titre, on ne badine pas avec l’amour, on ne joue pas avec le coeur, sans quoi les conséquences seront tragiques, et cet avertissement est illustré par la mort de Rosette, trahie et manipulée : « nous sommes deux enfants insensés, et nous avons joué avec la vie et la mort. » (Perdican, III-8) Ce n’est que lorsque le point de non-retour est atteint que les deux réalisent que le jeu est allé trop loin.

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