Corneille – Le Menteur

L'auteur

Corneille est un dramaturge du XVIIe siècle. Après des études de droit, il se tourne vers la littérature et s’essaie à différents registres. Il commence par écrire des comédies, puis il connaît un immense succès avec Le Cid, une tragi-comédie. Il va alors se concentrer sur ce registre, qui est très en vogue à ce moment, ce qui lui permet de connaître un immense succès. Il écrit également des tragédies historiques (tragédies dont le sujet reprend un évènement historique, une histoire mythologique…). 

L'oeuvre

Le Menteur est une comédie baroque, c’es-à-dire une pièce de théâtre ayant pour but de générer le rire chez le lecteur/spectateur, et appartenant au mouvement baroque (mouvement dans lequel on retrouve de l’exagération, des faux-semblants et illusions, des changements d’intrigue, des histoires complexes, des références à la religion…). Représentée pour la première fois en 1644, cette pièce est inspirée de La verdad sospechosa (La vérité suspecte), comédie espagnole de Juan Ruiz Alarcòn. L’année suivante, Corneille écrira La Suite du Menteur, mais cette pièce ne connaîtra pas le succès.

Résumé

Acte I : Dorante vient de déménager à Paris après avoir vécu à Poitiers. Il demande à Cliton, son valet, des conseils afin de séduire les femmes de la capitale. Il profite d’un petit accident (Clarice qui trébuche) pour tenter de la charmer, et elle n’est pas insensible à ses mots. Il prétend avoir eu un coup de foudre, qui serait réciproque : « Si votre coeur ainsi s’embrase en un moment,/Le mien ne sut jamais brûler si promptement » (Clarice, I-2). Il prétend également rentrer des guerres d’Allemagne, durant lesquelles il aurait été héroïque. Cliton, qui assiste à la scène, n’est pas dupe : « Que va-t-il conter ? […] Savez-vous bien, Monsieur, que vous extravaguez ? » (I-3). Mais Dorante se trompe : il s’adresse à Clarice, mais à côté d’eux se trouve Lucrèce. Il apprend que ce dernier prénom est porté par la plus belle des deux, et l’attribue alors à Clarice. Dorante continue ses mensonges, et les destine cette fois-ci à Alcippe, amant de Clarice, en prétendant avoir organisé un divertissement musical, le soir précédent, sur un bateau. Tous ses mensonges agacent Cliton : « J’enrage de me taire et d’entendre mentir ! » (I-5). Il confronte son maître : « J’appelle rêveries/Ce qu’en d’autres qu’un maître on nomme menteries » (I-6) et l’avertit : « mais enfin ces pratiques/Vous peuvent engager en de fâcheux intrigues. » (I-6).

Acte II : Géronte, le père de Dorante, veut que Clarice épouse son fils. Elle ne sait pas qu’elle le connaît déjà, et met en place une stratégie avec ce premier afin de l’observer sans être vue de lui. Isabelle, la servante de Clarice, va lui proposer d’organiser une rencontre en se faisant passer pour Lucrèce, afin qu’Alcippe ne le sache pas. Mais Alcippe quitte Clarice, parce qu’il a cru en le mensonge de Dorante et lui reproche d’avoir passé la nuit avec lui. Dorante, qui ne veut pas se marier puisqu’il veut être libre de s’amuser à séduire, ment à Géronte, son père, en lui narrant avoir été marié à une femme, Orphise, à Poitiers. Même Cliton, son valet, s’est laissé prendre au piège et a cru que c’était vrai : « Obligez, Monsieur, votre valet :/Quand vous voudrez jouer de ces grands coups de maître,/Donnez-lui quelque signe à les pouvoir connaître ;/Quoique bien averti, j’étais dans le panneau. » (II-6). Dès lors, Cliton s’impose comme le confident de Dorante : « Tu seras de mon coeur l’unique secrétaire,/Et de tous mes secrets le grand dépositaire. » (II-6)

Acte III : Dorante fait comprendre à Alcippe que la jeune femme qu’il a vue sur le bateau n’est pas son amante, ce qui le rassure. Mais ce dernier s’entretient avec Philiste, qui lui révèle l’ampleur des mensonges de Dorante : « Rien n’est qu’un pur mensonge,/Ou, quand il l’a donnée, il l’a donnée en songe. » (III-2). Celui-ci va même valoriser son intelligence qui lui permet de mentir : « Et vous-même admirez notre simplicité :/À nous laisser duper nous sommes bien novices ». (III-2). Clarice et sa servante Isabelle réalisent que Dorante est un menteur. Isabelle tente de justifier son comportement et prend parti pour lui : « Ainsi donc, pour vous plaire, il a voulu paraître,/Non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il veut être » (III-3). Cliton prend le mensonge pour un divertissement et espère que Lucrèce (qui sera en réalité Clarice) ment bien afin de s’amuser : « Si comme vous Lucrèce excellait à mentir :/Le divertissement serait rare, ou je meure ! » (III-4). Dorante use de sa rhétorique, de son éloquence et de ses discours galants afin de séduire Clarice qu’il pense être Lucrèce, alors qu’il est manipulé par les femmes qui l’ont démasqué. Clarice va le confronter en le mettant face à ses mensonges, mais il continue à mentir en prétendant qu’il a tout inventé pour lui plaire.

Acte IV : Dorante fait croire à Cliton qu’il s’est battu contre Alcippe et qu’il l’a tué. Après une conversation avec ce dernier, Clinton réalise qu’il a été joué : « Les gens que vous tuez se portent assez bien. » (IV-2). Dorante ment ensuite à son père, en prétendant qu’Orphise, la femme laissée à Poitiers, serait enceinte. Mais il a failli être percé à jour, après avoir attribué à son prétendu beau-père un autre prénom que celui qu’il a indiqué initialement : mais il a réussi à se justifier de justesse. Il fait transmettre une lettre à Lucrèce par le biais de sa servante Sabine. Lucrèce, amoureuse, sait pourtant qu’il est menteur et met en place une stratégie : elle demande à Sabine de prétendre qu’elle n’a pas lu la lettre et qu’elle l’a déchirée. 

Acte V : Géronte découvre par le biais de Philiste les mensonges de son fils quant à Orphise et Pyrandre (le prétendu père de celle-ci). « Dorante n’est qu’un fourbe ; et cet ingrat que j’aime,/Après m’avoir fourbé, me fait fourber moi-même ;/Et d’un discours en l’air, qu’il forge en imposteur,/Il me fait le trompette et le second auteur !/Comme si c’était peu pour mon reste de vie/De n’avoir à rougir que de son infamie,/L’infâme, se jouant de mon trop de bonté,/Me fait encore rougir de ma crédulité ! » (Géronte V-2) Dorante parvient à apaiser les tensions en prétendant avoir menti à Géronte parce qu’il voulait épouser Lucrèce. Sabine tente de mentir à Dorante en lui faisant croire que Lucrèce a déchiré la lettre, mais n’y parvient pas : « Je ne puis si longtemps abuser un brave homme. » (V-5) Clarice et Lucrèce réalisent que Dorante les confond, et Dorante se rend compte de sa méprise et renverse la situation à l’aide d’un énième mensonge : il prétend avoir reconnu, à la fenêtre, la voix de Clarice se faisant passer pour Lucrèce. Alcippe et Clarice, et Dorante et Lucrèce se marient.

Thématiques abordées

Le mensonge : Dorante est un menteur qui enchaîne mensonge sur mensonge, auprès de tous : son valet, son père, Clarice… (« En matière de fourbe il est maître » (Clarice, III-3)). Mais ce n’est pas le seul à mentir : tous les autres personnages le font ! La dissimulation prend plusieurs aspects : invention d’une histoire, mise en scène, inversion des identités… Les personnages se rendent compte plus ou moins rapidement que leurs interlocuteurs mentent, ce qui les incite à mentir en retour. Mais Corneille ne condamne pas le mensonge ! Cette comédie, en effet, n’est pas faite pour dénoncer ce vice. Au contraire, le dramaturge va même le présenter de manière méliorative : il faut beaucoup de talent, d’éloquence, d’intelligence et de mémoire pour bien mentir, donc des qualités intellectuelles ; mais il faut des qualités physiques également puisqu’un bon menteur doit avoir un parfait contrôle de son corps, et ne pas laisser celui-ci trahir ses mensonges : « Le ciel fait cette grâce à fort peu de personnes :/Il y faut promptitude, esprit, mémoire, soins, Ne se brouiller jamais, et rougir encore moins. » (Dorante, III-4). Loin d’être dénoncé, le mensonge est présenté comme le signe d’une rare vivacité d’esprit ! C’est d’ailleurs ce que prouvent les moments où Dorante est sur le point de se trahir : « Comme en sa propre fourbe un menteur s’embarrasse !/Peu sauraient comme lui s’en tirer avec grâce./Vous autres qui doutiez s’il en pourrait sortir,/Par un si rare exemple apprenez à mentir. » (Cliton, V-7)

La séduction : c’est l’objectif de Dorante. S’il ment aux dames à travers ses discours galants et son habileté rhétorique, c’est pour les séduire. La séduction provient de tous les personnages puisque Clarice et Lucrèce sont aussi rivales pour le séduire, Alcippe est rival de Dorante pour séduire Clarice, et fictivement Dorante aurait séduit Orphise ! Cette entreprise de séduction se réalise donc à travers la galanterie et l’éloquence de Dorante, mais aussi à travers des stratégies : Clarice prétend être Lucrèce à la fenêtre, Dorante prétend auprès de son père avoir séduit Orphise pour ne pas se marier avec Lucrèce afin de continuer son entreprise de séduction massive…

Parcours associé : "mensonge et comédie"

L’intitulé de ce parcours montre que ces deux notions vont de pair : le mensonge rend possible la comédie, et la comédie passe par le mensonge. En d’autre termes, la notion de mensonge est traitée avec humour et non avec gravité : il ne s’agit pas de dénoncer et de critiquer le mensonge et ses conséquences tragiques, mais de s’en servir comme ressort du comique. Corneille l’écrit dans son épître : 

« J’ai fait Le Menteur pour contenter les souhaits de beaucoup d’autres, qui suivant l’humeur des français aiment le changement, et après tant de poème graves dont nos meilleurs plumes ont enrichi la scène, m’ont demandé quelque chose de plus enjoué qui ne servît qu’à les divertir. […] Et d’ailleurs étant obligé au genre comique de ma premières réputation, je ne pouvais l’abandonner tout à fait sans quelque espèce d’ingratitude. »

Le mensonge occasionne comique de mots (l’acte même de mentir), de situation (par exemple lorsque Dorante frôle la catastrophe en oubliant le nom de son prétendu beau-père), de caractère (les personnages auxquels on ment sont tournés en ridicule), de geste (mises en scène comme la conversation entre Clarice jouant le rôle de Lucrèce à la fenêtre). 

Pour Dorante, mentir est un jeu, une preuve d’intelligence, puisqu’il doit élaborer des mensonges destinés à chacun de ses interlocuteurs, improviser si besoin, se souvenir des histoires racontées précédemment pour maintenir la vraisemblance, et adapter son expression au mensonge. Mais tous les personnages mentent, et le mensonge occasionne du théâtre dans le théâtre : Dorante, en effet, se construit un personnage fictif aux aventures épiques et romancées extraordinaires ; Clarice et Lucrèce échangent leurs identités… Cette mise en abyme est à l’origine du comique : plus Dorante ment et semble s’enfoncer dans ses mensonges, plus le spectateur attend avec impatience le dénouement, curieux de savoir si ce menteur sera percé à jour ou non !

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