Définitions
L’art : production humaine, culturelle, résultat d’un but conscient, ce n’est pas un besoin vital mais c’est un moyen d’expression à travers lequel l’homme se pense et se représente.
L’esthétique : du grec aisthèsis signifiant « sentir », « percevoir ». C’est l’intérêt pour la beauté de l’art.
Le sensible : résultat d’une perception, d’une sensation, c’est personnel. C’est la manière dont on perçoit la chose, ce n’est pas la chose en elle-même.
Le génie : disposition innée de l’esprit, à produire quelque chose d’unique ; le génie sert de modèle et d’inspiration aux autres artistes.
L'art est-il obligatoirement beau ?
L’art est le sujet privilégié de l’esthétique puisqu’il traite de beauté et de sensibilité. Le jugement esthétique porte sur la beauté, et est lié à un certain type de plaisir. Il est aussi appelé jugement de goût : c’est la manière de distinguer le beau du laid. Cela interroge la réception de l’œuvre, c’est-à-dire la manière dont on accueille une oeuvre d’art.
Kant, Critique de la Raison pure : « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept » : le jugement de goût n’est pas un jugement de connaissance, parce que cela ne nous apprend rien sur l’objet. C’est un jugement de valeur, un jugement esthétique, qui apporte une information sur celui qui regarde : quand on dit « c’est beau », on transmet une information sur ce qui nous plaît, plus que sur l’objet jugé plaisant. Donc on est face à un jugement subjectif. Mais lorsque je dis de quelque chose que c’est beau, je prétends que cette chose devrait plaire à tout le monde. Donc mon jugement subjectif devrait avoir une dimension universelle.
Bourdieu, dans son oeuvre La Distinction. Critique sociale du jugement, montre qu’en réalité, notre jugement dépend de notre éducation et de notre culture. Si nous avions grandi dans une autre société que la nôtre, peut-être que nous n’aurions pas eu la même opinion concernant la beauté d’une oeuvre. L’histoire du beau est donc une histoire de la civilisation.
L'art doit-il représenter le réel ?
Platon : l’art, c’est la mimésis, c’est-à-dire l’imitation. Le peintre et le poète sont des illusionnistes : ils ne livrent pas la chose même, mais sa représentation, ce qui fascine le spectateur. Mais cela consiste donc à représenter les choses, et non leur vérité. Donc l’artiste n’imite que sa perception de la chose, il ne donne pas un accès authentique à la chose.
Pline l’Ancien rapporte, dans ses Histoires Naturelles, l’histoire de Zeuxis, qui a peint des raisins de manière tellement réaliste que les oiseaux pensaient qu’il s’agissait de vrais fruits et venaient picorer sur son tableau, ne réalisant pas que c’était une représentation du fruit. Cette peinture a été faite à l’occasion d’un concours d’art entre Zeuxis et Parrhasius, consistant à imiter un objet de la manière la plus réaliste possible. Zeuxis, assuré de sa victoire, tend alors le bras pour tirer le rideau masquant le travail de son rival. Mais il se rendit compte que le rideau était peint : or, il était si semblable à la réalité que Zeuxis s’est laissé duper. L’art de Zeuxis a trompé les oiseaux, mais celui de Parrhasius a trompé un homme. Une oeuvre d’art réussie serait donc une oeuvre d’art qui imite le mieux possible la nature, allant jusqu’à se confondre avec elle.
Pour Hegel, l’art est l’expression d’une vérité, car il a une signification. L’art doit être replacé dans son contexte historique et culturel. Il révèle le passé, il dépend d’un lieu précis, d’une époque précise. L’oeuvre d’art exprime la subjectivité de l’artiste et l’esprit de son peuple. L’art est nécessaire, parce qu’il incarne la vérité d’une époque et d’une société, et qu’il répond au besoin humain de se donner une représentation sensible.
Mais l’art doit même dépasser cette simple représentation du réel pour représenter ce qu’on ne peut percevoir dans le réel : comme l’écrit Paul Klee, « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. » Cela signifie que l’art ne doit pas copier et imiter la réalité, mais révéler ce qu’on ne voit pas à l’oeil nu : par exemple, des émotions, des forces, des tensions, la sensibilité de l’artiste…
On peut opposer cette conception d’Hegel soulignant l’utilité et la nécessité de l’art, à la thèse de Théophile Gautier : l’art ne doit servir à rien, ne doit avoir aucune utilité sociale. « Il n’y a de vraiment beau que ce qui peut ne servir à rien ». Théorie de « l’art pour l’art » : il s’agit de faire de l’art pour faire de l’art, et non en vue d’une quelconque utilité.
L'artiste est-il un génie ?
Pour Nietzsche, la tendance à considérer l’artiste comme un génie vient de notre ignorance de son travail. C’est une manière de ne pas nous avouer nos faiblesses. L’homme n’est pas doué d’un talent inné, l’artiste est celui qui développe ses capacités grâce à son travail et à son implication. Afin de ne pas développer de la jalousie face à celui-ci, l’homme qui n’est pas artiste se convainc qu’il a un talent dont il ne dispose pas, et que c’est pour cela qu’il est incapable de faire la même chose, que ce n’est pas une faiblesse ou une incompétence de sa part.
Pour Kant, dans sa Critique de la faculté de juger, ce qui fait le caractère si spécifique de l’art ne réside pas dans l’oeuvre, mais dans l’artiste. L’artiste se reconnaît par son caractère original, exemplaire : « Le génie est la disposition innée de l’esprit par le truchement de laquelle la nature donne à l’art ses règles. » Il produit « ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée. » Il doit donc produire des oeuvres pouvant servir de modèle artistique, d’exemple, s’imposer comme un chef de file en créant de nouvelles règles à suivre. Et c’est un génie dont le talent est inexplicable, inné, naturel, et ne découle pas totalement d’un apprentissage : il a su s’en détacher pour créer une oeuvre unique, originale.
Comment distinguer l'artiste de l'artisan ?
Alain, Système des Beaux-Arts : ce qui distingue l’artiste de l’artisan, c’est l’élaboration de l’idée. Chez l’artisan, l’idée de ce qui est à produire est élaborée avant que celui-ci ne produise quoi que ce soit. Elle va diriger la conception de l’objet et le précéder. En revanche, chez l’artiste, l’idée vient au fur et à mesure de la création de l’oeuvre, voire même après.
En ce qui concerne donc l’artiste, « l’idée lui vient à mesure qu’il fait; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même. »