Le texte
Claire et Solange sont des Bonnes au service de « Madame ». Pour se libérer de leur servitude, elles ont décidé de tuer leur maîtresse en lui faisant boire une tisane empoisonnée. Leur projet échoue car « Madame » vient d’apprendre que « Monsieur » a été libéré de prison et qu’elle peut venir le chercher. Solange part appeler un taxi à la demande de « Madame ».
MADAME, souriante. Je suis servie par les servantes les plus fidèles.
CLAIRE, Nous adorons Madame.
MADAME, se dirigeant vers la fenêtre. Et vous avez raison. Que n’ai-je pas fait pour vous ? Elle sort.
CLAIRE, seule, avec amertume. Madame nous a vêtues comme des princesses. Madame a soigné Claire ou Solange, car Madame nous confondait toujours. Madame nous enveloppait de sa bonté. Madame nous permettait d’habiter ensemble ma sœur et moi. Elle nous donnait les petits objets dont elle ne se sert plus. Elle supporte que le dimanche nous allions à la messe et nous placions sur un prie Dieu près du sien.
MADAME, en coulisse. Ecoute ! Ecoute !
CLAIRE, Elle accepte l’eau bénite que nous lui tendons et parfois, du bout de son gant, elle nous en offre !
MADAME, en coulisse. Le taxi ! Solange arrive. Hein ? Que dis-tu ?
CLAIRE, très fort. Je me récite les bontés de Madame.
MADAME, elle entre, souriante. Que d’honneurs ! Que d’honneurs… et de négligence. Elle passe sa main sur le meuble. Vous les chargez de roses mais n’essuyez pas les meubles.
CLAIRE, Madame n’est pas satisfaite du service ?
MADAME, Mais très heureuse, Claire. Et je pars ! CLAIRE, Madame prendra un peu de tilleul, même s’il est froid.
MADAME, riant, se penche sur elle. Tu veux me tuer avec ton tilleul, tes fleurs, tes recommandations. Ce soir…
CLAIRE, implorant. Un peu seulement…
MADAME, Ce soir je boirai du champagne. Elle va vers le plateau de tilleul. Claire remonte lentement vers le tilleul. Du tilleul ! Versé dans le service de gala ! Et pour quelle solennité !
CLAIRE, Madame…
MADAME, Enlevez ces fleurs. Emportez-les chez vous. Reposez-vous. Tournée comme pour sortir. Monsieur est libre et je vais le rejoindre.
CLAIRE, Madame…
MADAME, Madame s’échappe ! Emportez-moi ces fleurs ! La porte claque derrière elle.
CLAIRE, restée seule. Car Madame est bonne ! Madame est belle ! Madame est douce ! Mais nous ne sommes pas des ingrates, et tous les soirs dans notre mansarde, comme l’a bien ordonné Madame, nous prions pour elle. Jamais nous n’élevons la voix et devant elle nous n’osons même pas nous tutoyer. Ainsi Madame nous tue avec sa douceur ! Avec sa bonté, Madame nous empoisonne. Car Madame est bonne ! Madame est belle ! Madame est douce ! Elle nous permet un bain chaque dimanche et dans sa baignoire. Elle nous tend quelquefois une dragée. Elle nous comble de fleurs fanées. Madame prépare nos tisanes. Madame nous parle de Monsieur à nous en faire chavirer. Car Madame est bonne ! Madame est belle ! Madame est douce !
SOLANGE, qui vient de rentrer. Elle n’a pas bu ? Evidemment. Il fallait s’y attendre. Tu as bien travaillé.
CLAIRE, J’aurais voulu t’y voir.
Problématique et plan
Problématique : comment cette scène, qui joue sur les codes théâtraux, renouvelle le topos traditionnel du maître et de l’esclave ?
I – Les rapports conflictuels
a) Douceur de Madame illusoire
b) Libertés trompeuses
c) Respect factice
II – Double niveau de théâtralité
a) Claire se contrôle
b) L’intégration des codes
c) Claire et Solange sont interchangeables
III – Tentative de rébellion
a) Amertume profonde
b) Le souhait de tuer
c) Un échec prévisible
